La notion de standstill est au coeur de tout recours pour les droits économiques et sociaux, en particulier la limitation à deux ans des allocations de chômage, devant le Tribunal du travail, en appel devant la Cour du travail et enfin, dernier recours, la Cour de Cassation. Sur mon site actuchomage.info, j’ai écrit un long article détaillé sur le sujet du standstill ain de comprendre cette notion juridique : https://actuchomage.info/2013/12/10/contester-degressivite-devant-tribunal-du-travail-dernier-recours-2/.
Tout est parti d’un article que j’ai lu paru dans le Journal des Tribunaux, https://droit-public.ulb.ac.be/wp-content/uploads/2013/12/D%C3%A9gressivit%C3%A9-et-standstill.pdf par un – alors – obscure professeur d’université en droit public, Daniel Dumont. Il incitait clairement à introduire des recours et c’est ce qu’ont fait les syndicats avec beaucoup de succès pour la limitation des allocations d’insertion.
La riposte s’organise juridiquement
Les trois syndicats principaux, à l’initiative de la FGTB, la CSC et la CGSLB rentreront un recours conjoint contre la limitation à deux des allocations de chômage, tant pour les bénéficiaires de l’allocation d’insertion que pour les bénéficiaires de l’allocation de chômage.
Mais ça ne suffira pas, chaque chômeur exclus, qu’il soit syndiqué ou non, devra dès la réception de la décision d’exclusion de l’ONEM fin septembre 2025 (pour la première vague) réagir vite car on a trois mois seulement pour introduire un recours individuel au Tribunal du travail. Les syndicats invites déjà les chômeurs à se présenter à leur permanence dès qu’ils ont reçu le courrier d’exclusion de l’ONEM. Ils sont prêts à introduire tous les recours individuels avec leurs affiliés.
Si vous n’êtes pas syndiqué et à la CAPAC, Il faut aussi introduire soi-même un recours devant le Tribunal du travail dont on dépend (fonction du domicile officiel voir quel est le Tribunal du travail concerné https://competence-territoriale.just.fgov.be/cgi-main/competence-territoriale.pl).
L’introduction du recours au Tribunal du travail conduira à poser une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle.
Comme son nom l’indique, la Cour Constitutionnelle « contrôle la constitutionnalité des seules normes de rang législatif (donc édictées par le Pouvoir législatif, qu ’il soit fédéral ou fédéré) ; elle ne vérifie pas la constitutionnalité des normes de rang réglementaire (donc du Pouvoir
exécutif) ou celle des décisions de justice (normes émises par les juridictions). » (…)
« La Cour constitutionnelle belge peut très bien être saisie, sur question préjudicielle, par une cour d ’appel pour savoir si une loi dont cette cour s’apprête à faire application est confome ou non à la Constitution ; de même, elle peut être interrogée par la Cour de cassation pour savoir si telle ou telle loi dont une cour d ’appel a fait application dans un arrêt – arrêt qui a ensuite fait l ’objet d ’un pourvoi en cassation – est ou non compatible avec la Constitution. » (LE MÉCANISME PRÉJUDICIEL DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE BELGE, Christian BEHRENDT, Professeur ordinaire à l’Université de Liège et à la Katholieke Universiteit Leuven, Assesseur au Conseil d ’État, Professeur au Collège de Défense de l’École Royale Militaire)
L’important c’est de ne pas oublier qu’on a trois mois pour introduire un recours une fois que la décision de l’ONEM est notifiée, soit par l’ONEM directement soit via le syndicat ou la CAPAC.
La dégressivité a été une exception notable puisqu’elle n’avait pas été notifiée formellement donc il n’y avait pas de date pour décompter les trois mois de droit de recours.
Introduire le recours soi-même
Ce n’est pas très difficile et c’est gratuit. Il faut se rendre aux greffes du Tribunal du Travail dont on dépend. Là on demande à faire une requête contre l’ONEM et on reçoit un document (je joins celui du Tribunal du Travail de Liège qui est en ligne). Vérifier que le document ou requête Modèle requête contradictoire 704§1er CJ est en ligne avant de vous rendre aux Greffes du Tribunal du Travail dont vous dépendez. Complétez-le et renvoyez-le par recommandé (très important) ou déposez-le aux Greffes vous-même.
Construire un recours gagnant
Pour commencer, il faut maîtriser le standstill et les législations impliquées ainsi que l’avis du Conseil d’Eta rendu, les avis par des juristes des droits humains et de la Constitution, particulièrement l’article 23 de la Constitution.
Quand j’ai attaqué toute seule devant la Cour du travail, (l’instance d’appel du Tribunal du travail) l’argumentaire était déjà construit par l’avocat du syndicat, je l’ai renforcé par des données concrètes illustrant la perte financière catastrophique qui, sans mes parents, m’aurait conduite aux colis alimentaires mais qui de toute façon, m’empêchait même de respecter mes obligations en me privant de me former (les formations coûteuses et à la mode du secteur de la com ne sont pas données et surtout le Forem ne proposait une formation à Adobe Première qu’aux travailleurs, évidemment c’était très demandé par les employeurs et c’était le plus qui faisait la différence entre le haut de la pile des candidats et rester sur le carreau). A la place je faisais des formations gratuites en ligne, genre Google qui m’octroyait un beau certificat d’endoctrinement par Big Brother. La vacuité des formations en ligne gratuite, n’a d’égale que la formation au RGPD où on devait retenir tout par coeur sans, mais alors surtout sans excercer d’esprit critique face aux contradictions du règlement européen.
Des arguements à utiliser :
Attendu que l’article 23 de la Constitution énonce que :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou [l’ordonnance] garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment : 1° le droit au travail (…) ; 2° le droit à la sécurité sociale (…) ; 3° le droit à un logement décent ; 4° le droit à la protection d’un environnement sain ; 5° le droit à l’épanouissement culturel et social. » Que comme le rappelle D. DUMONT, « Puisque cette disposition assigne au législateur l’obligation positive de réaliser progressivement le droit à la sécurité sociale, les autorités publiques ne peuvent pas, a contrario, légiférer à rebours des droits déjà garantis. Si la matérialisation et la mise en œuvre concrètes du droit à la sécurité sociale constituent une prérogative du législateur, à qui il revient d’opérer les choix et les arbitrages nécessaires, l’inscription de ce droit dans notre charte fondamentale emporte à tout le moins une obligation pour ce même législateur de ne pas diminuer le niveau des prestations déjà consacrées, du moins pas sans justifications » (Daniel DUMONT, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill », J.T., 2013, p. 773).
Attendu que la jurisprudence confirme que l’article 23 de la Constitution implique une obligation de standstill « qui s’oppose à ce que le législateur compétent réduise sensiblement le niveau de protection offert par la législation applicable, sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général » (notamment, Cour Const., n° 102/2011, 31 mai 2011, B.3.2.; voy. aussi Cour Const., n° 135/2011, 27 juillet 2011, B.5.2; Conseil d’Etat., n° 215.309, Cléon Angelo, 23 septembre 2011; Conseil d’Etat, n° 216.702, Confédération des syndicats chrétiens et al., 6 décembre 2011).
Attendu que l’effet de standstill qui s’attache à l’article 23 de la Constitution et à l’article 12 de la Charte sociale européenne est violé par la mesure instaurée par ledit Arrêté royal.
Que cette mesure de limitation dans le temps des allocations de chômage à deux ans est contraire à l’exigence de non-diminution du niveau de la protection sociale.
Que les restrictions à ce droit qui peuvent être apportées ne sont acceptables que pour autant qu’elles soient dûment justifiées et acceptables sous l’angle de la proportionnalité.
Qu’à ce titre, il s’impose de vérifier que le recul opéré obéit à un motif d’intérêt général, qu’il est approprié et même nécessaire au regard de ce motif, et qu’il n’emporte pas des conséquences disproportionnées pour la substance du droit atteint.
Qu’il appartient aux auteurs de la norme de s’expliquer soigneusement dans l’acte litigieux sur les raisons qui motivent la régression.
Attendu que par conséquent, en vertu de l’article 159 de la Constitution, le Tribunal de céans devra vérifier si en adoptant la dégressivité, le législateur a respecté le principe de standstill.
Que les effets de cette mesure sont disproportionnés pour Monsieur/Madame X
Attendu que dans son arrêt du 5 mars 2018 (RG 6.16.0033.F), la Cour de cassation a estimé que l’intérêt général poursuivi par la loi programme (date) ne justifiait pas ses dispositions relatives à la limitation dans le temps des allocations de chômage, compte tenu de l’absence de rapport de proportionnalité.
Je ne suis pas juriste de droit social, je ne peux que vous donner quelques pistes. Ayez recours à un avocat pro-deo si vous n’êtes pas syndiqué et que vous n’êtes pas à l’aise avec cet exercice. J’avoue je me suis défendue toute seule pour avoir la main sur ce qui serait dit et comment ce serait dit. Et surtout je savais très bien ce qu’il fallait démontrer dans mon cas : une « bonne » chômeuse qui a réussi tous ses contrôles de la recherche d’emploi, active, qui se forme, et qui est aidée par sa famille financièrement, doit prouver que la misère de la dégressivité accrue nuit à son insertion sur le marché de l’emploi.
Que dire de la fin du doit au chômage après deux ans !